....J’ai alors repris les trois premières toiles, en ligaturant plusieurs fusains ensemble, pour augmenter l’échelle du trait.
Puis une question s’est posée : comment présenter les toiles et leurs satellites de papier ?
Dans la série « Periple », de 98 – 99, j’avais réalisé des toiles composées de 4 formats de 1 x 1 m, superposés, décalés, un des éléments posé au sol, ou fixé au plafond . J’avais présenté ce travail à Tokyo, au Musée de Funabashi, situé dans un immeuble, où la hauteur sous plafond n’était que de 3 mètres.
J’ai aménagé cette idée en imaginant plusieurs dispositifs : les toiles sont dans une salle, et les papiers dans une autre, dans le même ordre, ou bien les toiles sont encadrées chacune d’un papier, le troisième étant posé au sol, au pied de la toile. L’idée d’une installation, variable, adaptée au propos et au lieu, me sembla participer à cette « exploration » picturale.
Ainsi de Novembre 2002, à Juillet 2003, je n’ai pratiquement pas lâché les pinceaux plus de un ou deux jours, affichant dans l’atelier la toile en cours, ses suites sur papier, ainsi que la toile précédente, afin de bien assurer la continuité, tout en évitant les redondances, ce qui était favorisé, par la diversité des expériences menées pendant les séances de dessins : courbes torsadées, plis ombrés, toisons, orifices, tétons, imbrications de deux corps, ombres…
La toile « Pictura » XIV s’annonça comme une des plus jubilatoires, avec un retour ( un de plus ), vers la peinture pariétale, et un flot d’oxyde de fer et de cuivre.
J’éprouvais alors le besoin de revoir la totalité des toiles et des papiers. Ce qui devait arriver, se produisit : pendant un mois j’ai repris partiellement toutes les toiles, parfois pour des détails pratiquement invisibles mais qui m’écorchaient les yeux, parfois beaucoup plus profondément. Puis je peignis soigneusement les tranches, les bords des châssis, pour indiquer que l’œuvre continue au delà de ses limites physiques.
C’est alors que j’ai soudainement compris que « Pictura » venait de s’achever.
Les circonstances ont fait que j’ai arrêté de peindre jusqu’en Février 2004, soit pendant plus de six mois, accaparé par Kafka, et la réalisation d’un moyen métrage, à partir de la nouvelle « Description d’un Combat », et par la suite de « Parallélisme », avec Jordi Cerda. La joyeuse parenthèse de « Pictura » s’était refermée.
S’ouvrait alors un gouffre nommé Kafka, duquel je ne suis pas encore prêt de remonter.
Mais il m’a fallu du temps avant de pouvoir parler de « Pictura », et j’en garde aujourd’hui le sentiment d’une expérience allant au fond du sens et de la manière.
Claude Jeanmart
Octobre 2005