A BRAS TENDU & L’EFFORT DU REGARD PHOTO ET PEINTURE 25 – 06 – 1982 Pendant le Mois de la Danse, à Toulouse, en février 82, j’ai voulu photographier l’effort, la sueur des danseurs. A l’inverse de la danse classique, plus stéréotypée, la danse contemporaine accepte de montrer sur les visages la trace de l’effort. La poudre de riz ne colmate plus la sueur, et les sourires figés, sont remplacés par des bouches qui respirent. Je me suis placé au premier rang, et j’ai utilisé un téléobjectif de 200 mm, et parfois de 500 mm. Le développement du film fut poussé à 3200 iso, dans un révélateur compensateur à la Diafine. Ainsi en compensant, j’évitais l’excès de contraste du négatif, et je pouvais jouer sur les gris, rendant une impression d’image diffuse, brumeuse. Car d’une part je ne voulais pas obtenir de document trop analytique, et d’autre part je voulais créer une unité entre les images des deux séries. En prenant les photos, si j’ai privilégié les visages et les gestes des bras, je ne savais pas encore exactement comment j’allais les exploiter. A l’inverse des travaux antérieurs, je ne voulais rien fixer à l’avance, pour découvrir petit à petit l’idée maitresse.Dans la série « A Bras Tendu », j’ai finalement choisi de souligner le bras, ou plus exactement la portion de bras bien visible, d’un fin trait régulier de peinture rouge, démarche minimaliste, mais dans laquelle le sentiment présent est fort.
Les conventions de la danse classique, qui ne garde du geste que son sens codifié, narratif, m’ont donné au contraire, l’envie de ne photographier que le geste, dans sa densité musculaire. La série de 6 photos, idée de la séquence, vise le récit, et non pas la juxtaposition, d’images spectaculaires ou inhabituelles. Les images sont classées depuis A1, où le bras n’est pas encore totalement déployé, jusqu’à A9, où les bras des trois danseurs sont étendus en tourte « souveraineté ». Mais de A8 à A9, on voit bien l’intention : le bras qui apparaît à gauche, et en haut de A9, est le prolongement de celui de A8, et ainsi de suite. Chaque image prolonge la précédente et annonce la suivante. La couleur rouge était à la fois la plus visible, sur le noir, et cependant la plus discrète, car elle était beaucoup moins visible qu’un orange ou qu’un jaune. La « signalisation » de A1 à A9, affirme l’idée que l’ordre des images a une importance et qu’il y a donc un sens de lecture. Dans la série « l’Effort du Regard », le propos est axé sur le regard des danseurs, à la recherche de leur équilibre et de leur espace. Les deux séries sont à voir associées, car elles sont le complément l‘une de l’autre. Le regard c’est ce par quoi l’équilibre est possible. Le danseur repère à tout instant les éléments de l’espace dans lequel il se déplace, espace où ses partenaires sont des repères mobiles. Il se « trahit »par son regard, qui indique par la trajectoire invisible de ses yeux en mouvement, la future motricité de son corps. La séquence se déroule de B1, où le danseur se concentre, juste au moment où il va démarrer son enchainement ; puis le corps s’anime, et en B2 le regard s’élève ; en B3 le regard est exorbité, projeté dans une action violente ; en B4 l’effort est extrême, et le regard cherche un point de fixation ; en B5 la sueur ruisselle, la fatigue éteint le regard, et l’automatisme, l’instinctif prend le dessus ; en B6 le regard totalement investi dans la rencontre de la partenaire, se charge de sentiments ; en B7 le danseur termine épuisé et lève le bras pour saluer, son regard cherchant le public et son verdict ; en B8 la danseuse et son compagnon s’avance vers le bord de la scène, le regard fouille l’obscurité de la salle à la recherche d’un visage ami ; enfin en B9 la joie éclate, c’est la fin, les applaudissements sont au rendez vous. Le regard n’a plus d’efforts à faire. Il fixe un bref instant le photographe du premier rang et lui adresse un sourire. Les traits rouges qui matérialisent les trajectoires des regards, se désorganisent. Les centaines de regards des spectateurs, balayent à leur tour la salle, la scène, dans un bonheur partagé. |