LES CARRÉS DU DÉSIR
1981
Il s’agissait de proposer à 15 personnes amies ( et à moi même le 16°), de s’exprimer sur ce que représente pour elles le désir, ou un désir, ou des désirs.
Cette idée met à jour immédiatement, une contradiction irréductible, entre le désir et les contraintes sociales, auquel, aucun d’entre nous, ne peut échapper. La censure et l’auto censure, laissent peu de brèches disponibles.
L’expression du désir sera donc nécessairement médiatisée par un quelconque moyen d’expression, et la transformation, d’ordre symbolique, ou religieux, ou didactique, ou romantique, ou théorique, rendra acceptable l’objet, la représentation du désir.
Une autre contradiction apparaît à la suite ; c’est celle qui oppose art et religion. L’art ne peut exister qu’en dehors des normes, c’est à dire, hors des fixations, des fixités de la pensée. L’art se présente en outre comme une remise en cause, une remise en forme, permanentes de lui même, et des idées dont il est le vecteur. Il est et ne peut être que transformation, que transgression. La religion est à l’opposé, en tout point. Elle ne peut subsister que dans la permanence, la continuité, la fixité, d’idées érigées en dogmes, en « vérités » non vérifiables, que l’on ne doit pas interroger. Croire sans savoir, sans avoir vu, est l’idéal, le but à atteindre. Les désirs, expressions de choix, de doutes, de besoins, d’évolution personnelle, sont à refouler. La religion est l’anesthésiant du désir et donc de l’imaginaire. Art et imaginaire, forment un couple indissociable.
Il n’y a pas d’art religieux, ou sacré, ou chrétien : il y a des artistes, qui pris dans une réalité historique, idéologique et sociale, ont trouvé le « passage » par où se faufiler ; leurs travail a été contrôlé, dirigé, censuré, a été récupéré par les religions qui avaient besoin d’images, de supports, de médias, pour diffuser leur idéologie et assurer leur pouvoir.
Dans le dispositif, la grille des 16 carrés hachurés est là, en surimpression, métaphore de l’oppression, pour rappeler ces contradictions, toujours actives en 1981. La grille peut être claire ou foncé, plus claire ou plus foncé que l’image qu’elle recouvre. Elle indique aussi qu’il existe toujours une distance entre l’objet créé et celui qui le regarde, une distance entre le créateur et le spectateur, même lorsque l’œuvre produite semble la plus réaliste possible.
C’est que le désir, nécessairement présent, n’est jamais totalement avoué et montré. Il est à la fois vecteur et sujet.
La grille permet ainsi de masquer ce qui en dirait trop, de souligner qu’il s’agit d’un travail pictural, métaphorique, que la photographie n’est pas plus la réalité que le dessin ou que la peinture.
Les 16 participants, des amis de longue date, se sont senti concernés par le travail proposé. Ils ont donc accepté le principe de sincérité ; ils parleront réellement d’eux même. Ainsi de cette réflexion et de la production qui doit en découler, naitra une recherche qui ne se limitera pas à la participation aux « 16 Carrés du Désir », qui devra au delà, déclencher des processus de recherche personnelle. Produire une de ces images, pourra être un stimulant, une ouverture à de nouvelles voies ; la participation de 15 autres personnes à mon travail, correspond aussi à un désir de travail collectif. Si pour ce qui est de la musique ou de la danse, la pratique collective est permanente, et nécessaire, il en va tout autrement pour les arts plastiques, mis à part quelques exceptions. Une œuvre collective en peinture, oscille le plus souvent, entre la répartition de tâches par celui qui a conçu l’ensemble, et la division d’un travail négocié à l’intérieur d ‘une équipe. Mais dans l’un et l’autre cas, il faut que chaque participant, fonde ses particularités dans le projet commun et qu’il « oublie » pour un temps, sa vision personnelle.
Dans le projet des « Carrés du Désir », il est proposé à chacun de mettre en avant ce qui lui est spécifique, autant pour les idées que pour l’image qui les concrétise. Les contraintes plastiques, préalablement bien définies pour chacun, la plus grande divergence est alors possible. Plus les limites sont tracées, plus le désir de les franchir sera grand.
Mais les consignes, très précises, donnent l’unité plastique de l’ensemble des réalisations, comme un tout, ayant la cohérence conceptuelle, d’un acte pictural. Car il s’agit mentalement, de peinture, non seulement parce que les 16 carrés de la grille sont tracés au pinceau chinois, ou parce que chaque trait a été pensé et exécuté, avec un début et une fin, mais aussi parce que la photographie n’est pas considérée comme un moyen plastique indépendant, ni comme un outil privilégié, pour restituer la réalité.
Il s’agit de prendre du temps et de le façonner, comme on façonne un bloc d’argile, d’en faire un repère, un acte.
Ne plus croire, aide à accéder au désir, le désir fait accéder à la création.