LE BAISER |
LE BAISER A la demande de * et de * j'ai installé un matériel photo automatique, réglé par intervalomètre ; j'ai délimité un espace, puis je suis parti. J'ai choisi un négatif sur les 36 vues, que je leur ai emprunté. Je l'ai monté en sandwich avec son propre positif, montage légèrement décalé en paraglyphe, ou pseudo bas-relief. Par ce procédé j'ai obtenu des parties franchement noires et d'autres totalement blanches, et une gamme de gris très dégradée, ceci en prévision du travail de couleur, sur ces photos en noir et blanc. En premier lieu, ce dispositif me permettait de rendre moins aisée la lecture de l'image de ces deux nus féminins ; en gommant l'anecdote, je détruisais en partie, la lecture sociale du nu.
Le nu reste cependant présent, avec toute la charge émotive que cette photo là, contenait. Il ne s'agit donc pas d'une démonstration froide, d'une simple recherche technique. Les deux corps de femmes, enlacés, peuvent jouer un rôle provocateur sans pour autant qu'il soit possible de nommer avec la moindre certitude le "titre" de la scène représentée. C'est le questionnement par le doute qui prévaut. Mais il y a répétition du nu. Par cette répétition le spectateur oublie progressivement la nudité, ou du moins elle ne le fascine plus, au bout d'un certain nombre d'images regardées. Il regarde finalement la photo, puis le panneau, puis la série dans leur totalité. C'est du moins ce que j'attends. Cette répétition a aussi pour fonction de concentrer le regard sur la diversité dans le semblable. D'une couleur à une autre, d'une polychromie à une autre, l'œil se divertit à observer ces différences : l'image est tirée tantôt gauche-droite et tantôt droite-gauche ; le cadre lui-même est irrégulier En outre il est perturbé, interrompu par des fragments d'image ( les pieds ). Tous ces accidents m'ont été nécessaires pour faire apparaitre la réalité première de ce travail: c'est une recherche picturale. Les moyens mis en œuvre, même s'ils concernent la photo, sont finalement pour moi, du domaine de la peinture. Chaque image est orientée, en haut, en bas, à gauche, à droite, en elle même, par rapport aux trois autres à l'intérieur de chaque panneau, et chaque panneau par rapport aux 13 autres. La couleur, polychrome ou monochrome, s'éloigne de tout réalisme photographique. Elle est présente pour ses qualités propres de saturation ou de dégradé. Elle met en évidence le sujet quand elle augmente l'effet de bas relief, ou bien elle fait disparaitre les corps soit par un effet de camaïeu, soit en ne laissant plus apparaitre que les ombres les plus fortes. Cette mouvance de l'œil, ce va et vient entre la forme, la couleur, la composition de chaque panneau et son rapport à l'ensemble, est rendu possible parce que la répétition assure une stabilité de l'idée, une simplification de ce qui est à voir. Le spectateur n'est pas, dans ce genre de travail, distrait par le déroulement d'un récit. Le spectateur analyse chaque maillon d'une chaîne ( les modules d'une structure); il cerne une intention, il se peut qu'il partage l'intensité d'un échange. J'indique que je ne saurais restreindre la photo à ses particularismes techniques, mais que je l'utilise aussi pour la force qu'elle peut imprimer à certaines aventures de la communication, à certains actes de l'imaginaire. Claude JEANMART / 85 |